Mais que s’est-il donc passé ce soir, 28 décembre, à l’Opéra ?
J’ai eu l’impression de voir le Lac des Cygnes pour la première fois.
Germain Louvet et Ludmilla Pagliero étaient resplendissants.
Pour Germain, c’était la deuxième représentation, gracieux, élégant, plein de charme et de simplicité, il renouvelle complètement le rôle. Son sourire doux, sa légèreté le rendent irréel, pour la première fois dans l’histoire, un danseur Nervalien.
Sa technique, légère, aérienne, est d’une lisibilité sans faille. Sous une sorte de danse inconsciente et légère, il grave les pas dans notre imaginaire. Il sait donner un nouveau style, du caractère, du lyrisme, au difficile solo final du premier tableau. Seul en scène, il captive le public par cette indéfinissable suavité de ses arabesques. Osons aller plus loin : finalement, il réinvente l’arabesque, la remet au goût du jour. Dans l’acte blanc, le pas de deux avec Ludmilla est vraiment exceptionnel. Ils arrivent à rendre le dialogue intelligent, palpable, ils dansent, oui, mais on les entend se murmurer des choses, la danse est si parfaite, qu’elle semble rester en retrait. Le pas de deux est tranquille et délicat, avec ce mouvement continu qui ne s’arrête jamais. Enfin un couple qui ne joue pas au musée Grévin ! Rien n’est académique, tout sort de leur personnalité. Tout est réinventé avec génie, comme ces mouvements de bras de Germain qui s’alanguissent ou qui se brusquent subitement, que de nouveautés ! Ces arabesques qui se penchent avec délicatesse nous percent le cœur.
Dans le pas de deux du cygne noir, tout semble nouveau. Intelligence du regard et des ports de tête, Art du plié maîtrisé de la plus belle manière, entrechats suaves. Le dernier pas de deux est d’une étrangeté jamais vue. Germain, Ludmilla ? les silhouettes se brisent, les corps se disloquent, les bras s’amplifient pour exprimer le désespoir. Eux, au moins, croient en ce qu’ils font, c’est rare.
Cette production qui était poussiéreuse, ennuyeuse, terne, a repris subitement des couleurs, scintille d’une manière nouvelle, avec un corps de ballet qui enfin s’intéresse à ce qu’il danse et ne semble plus reprocher au public d’être là, on connaît la rengaine des méchants temps : « on est tellement mieux entre nous »
Mon enthousiasme a été largement partagé par le public, et par la direction de l’Opéra puisque Monsieur Lissner et Aurélie Dupont sont venus annoncer au public la nomination d’Etoile pour Germain Louvet.
Félicitons Germain avec la plus grande joie.
Il a toutes les qualités du grand danseur. Sur scène, dans un groupe, il s’impose, il attire l’œil, on le reconnaît tout de suite, pliés impeccables, subtilité des sauts, intelligence des bras, simplicité de la gestuelle, présence dramatique, belle silhouette élancée, nulle trace de sophistication. C’est un vrai danseur. Il est difficile de lui trouver un défaut, sinon celui de déplaire aux adeptes de la non-danse.
Germain Louvet danseur Etoile ? Cette nomination n’étonne personne, tout le monde l’attendait avec impatience. Elle n’est pas seulement un signe d’encouragement pour l’un des meilleurs danseurs de sa génération, elle est aussi un signe de changement.
Peut-être même une date historique ? À partir d’aujourd’hui, à l’Opéra de Paris, les nominations d’Etoile sont décidées en raison du seul talent sans qu’aucune autre considération plus ou moins vaseuse ou calcul de coquinage ne rentrent en compte. Vous l’avez compris, l’Opéra de Paris ne sera plus une maison de retraite pour des Etoiles accidentées 11 mois par an, sauf au mois d’août. En deux saisons, on est passé de la bureaucratie kagébiesque à une vraie direction artistique, pourvu que ça dure !
Michel Odin