Peter Iljitsch Tschaikowski, ch. Cayetano Soto, ph. Ida Zenna
La ville de Leipzig, jumelée avec celle de Lyon, est une destination pas suffisamment choisie par les touristes français. En fait, la vie culturelle et musicale, depuis le XVIIe siècle, a toujours été très active. Je n’avais pas eu l’occasion d’aller à Leipzig depuis la mort d’Uwe Scholz. Trois jours à Leipzig m’ont permis de reconstruire un lien entre le passé et le futur. Il y a tant à dire, que nous présenterons en plusieurs jours.
Le 17 janvier 2024, c’était la première création 2024 pour la compagnie : Peter Iljitsch Tschaikowski de Cayetano Soto, chorégraphe connu en France par plusieurs créations au Capitole de Toulouse, où il a laissé un bon souvenir, l’Espagne est toute proche.
Le thème choisi pour cette création est une évocation de la vie de Tchaïkovski, mais sans intrigue, uniquement par petites touches ; des bribes de textes défilent en haut, du plateau comme dans les aéroports, traduits en allemand par des danseurs qui se font brièvement acteurs.
Très vite, on comprend que le chorégraphe veut faire démonstration de son imagination créatrice indéniable, parfois aux dépens de Tchaïkovski. Nous avons ainsi pendant deux actes une sorte de catalogue de vente par correspondance des multiples possibilités d’agencements chorégraphiques de luxe du créateur de danse. C’est la collection 2024 qui ne peut qu’être à la mode.
Comme dans les défilés des jeunes créateurs, on demande à l’éclairagiste de dynamiter quelque peu l’affaire, pour ne pas que le public somnole. Alors on a comme d’habitude les projecteurs violents dans les yeux, on allume, on éteint, il faut absolument cet apport artificiel d’épices, de piments forts que les cuisiniers talentueux évitent toujours, en affirmant, comme au restaurant du Plazza – Athénée à Paris, que la qualité absolument parfaite des carottes, et rutabagas doit suffire sans autre forme de procès..sus.
Le produit, rien que le produit. Ici le produit, c’est le danseur, et il faut reconnaître qu’ils sont tous excellents.
Cayetano Soto ne cesse de nous étonner. Par une technique très particulière dont il a le secret, souvent influencée par les exercices des meilleures acrobaties artistiques, il arrive à transformer le danseur en une sorte d’insecte, en une espèce de volatile. Ça y est, nous y sommes, le cygne. oui, il est là, on le reconnaît, la devinette est trouvée, c’est bien Tchaïkovski.
Oui, c’est vrai, nous sommes plus charmés et étonnés par ces cygnes-là, que par les ballerines rondouillettes qui veulent absolument faire croire qu’elles dansent du Petipa. Cayetano Soto nous retient immobiles dans ses lacs, on voulait éviter de se faire prendre, trop tard, on est pris.
Le chois des partitions musicales est pertinent, montre la variété des formes musicales toutes aimées par Tchaïkovski., depuis les musiques liturgiques, la polonaise d’Onegine, la sérénade pour cordes, jusqu’à, pour finir le premier acte, l’adagio lamentoso finale de la Symphonie Pathétique. S’il vous plaît, là, je suis très gêné par la rusticité un peu vulgaire de la chorégraphie. En juin 1981, pour la dernière soirée du Tchaïkovski Festival, Balanchine, si grand connaisseur de Tchaïkovski, avait chorégraphié la Symphonie Pathétique. Il m’avait expliqué : « Pour le dernier mouvement, on fermera le rideau. Cette musique est beaucoup trop émouvante et belle, on ne peut pas mettre de la danse dessus. » Ce fut l’un des derniers messages de Balanchine, la danse doit s’effacer lorsque la musique le demande. Il y a le chorégraphe, et le très habile et excellent ébéniste, parfois un peu faussaire.
Le catalogue d’objets précieux et insolites continue à se dérouler sous nos yeux pendant le deuxième acte très subtil, habilement imaginé, qui nous fait connaître davantage la difficile vie de Tchaïkovski, mort jeune, à 53 ans.
Comment conclure ? C’est très bien fait, beaucoup d’imagination, de successions de situations insolites, d’une belle musicalité dont le chorégraphe a peut-être honte et camoufle sous l’abstraction et le wokisme pour être à la mode.
J’étais assis à côté du psychiatre et musicologue, ça existe, Jean Luc Vannier : www.musicologie.org.
Il m’expliqua au milieu du premier acte : « il s’agit d’une gestuelle rythmique masturbatoire.»
Impossible de ne pas lui dire à la sortie : « Soyez heureux, encore un spectacle qui fait oublier le monde sensible pour celui très artificiel du virtuel. Tout ceci ne fait qu’augmenter le nombre de vos patients.»
En quelques mois, les quatre grandes compagnies de l’est de l’Allemagne ont vu arriver un nouveau directeur artistique.
Jörg Mannes à Magdeburg, Christian Spuck à Berlin, Kinsun Chan à Dresde, Rémy Fichet à Leipzig.
Celle nouvelle équipée fait rebattre les cartes et apporte un peu d’oxygène à des compagnies qui avait parfois tendance à s’endormir sur leurs très glorieux lauriers. Michel Odin